Installation réalisée pour la soutenance / Installation for the Phd Presentation
La Bibliothèque Fantastique est le sujet de ma thèse intitulée :
Portrait de l'artiste en éditeur,
L'édition comme pratique artistique alternative
La Bibliothèque Fantastique is the subject of my Phd Thesis in Visual Arts called:
Publishing as an Alternative Artistic Practice
Sous la direction de Yann Toma
Soutenue publiquement Le 17 novembre 2014
Membres du jury :
Leszek Brogowski (Rennes 2)
Anne Moeglin-Delcroix (Paris1)
Jérôme Dupin (Inspecteur à la DGCA)
Françoise Vincent-Feria (Université de Strasbourg)
La thèse fait 760 p., et elle est composée de quatre volumes :
télécharger / download
Le corpus principal de 338 p.
télécharger / download
Le volume Catalogue de 245 p.
télécharger / download
Le volume Entretiens de 141 p.
télécharger / download
Le volume Document photographiques de 36 p.
Résumé de thèse
Cette thèse donne une définition de l’artiste éditeur à travers la pratique artistique de son auteur qui a créé la structure d’édition La Bibliothèque Fantastique (LBF). Imaginé à partir d’un texte de Michel Foucault, ce projet d’édition a publié une centaine de livres d’artiste. L’auteur dresse un panorama de la démarche d’artiste éditeur : Il désigne d’abord, dans une première partie, cette pratique comme un « phénomène de bibliothèque », faisant ainsi une analogie entre le travail de l’éditeur et celui du bibliothécaire. Puis il analyse les phénomènes intertextuels et interlivresques qui se développent entre les livres. Enfin il se penche sur les mécanismes d’appropriation qui remettent en question la notion d’auteur, et font de l’artiste éditeur un méta-auteur. Dans une deuxième partie, il est question de la nature des œuvres publiées par LBF. En développant la généalogie de ces publications, on s’intéressera dans un premier temps à Stéphane Mallarmé ; puis dans un deuxième temps aux définitions du livre d’artiste et aux liens de ce médium avec la contre-culture et les sous-cultures ; pour enfin définir une nouvelle catégorie de publications à la jonction entre le livre d’artiste et le Do It Yourself : le fanzine d’artiste. Dans la troisième partie, l’auteur définit la démarche d’artiste éditeur comme une pratique artistique alternative : il désigne d’abord cette démarche comme celle d’un artiste entrepreneur, mais également comme une pratique autriste ; puis il montre que les démarches alternatives se développent à la fois dans des hétérotopies, mais aussi dans le réel. Enfin, l’auteur envisage des pistes pour l’avenir de l’édition et de l’art.
Mots clés : Livre d’artiste ; Fanzine ; Artiste éditeur ; Intertextualité ; Autoréflexivité ; Méta-auteur ; Entreprise-artiste ; Bibliothèque
Abstract
This thesis creates a definition of the artist publisher via the experience of the author creating the La Bibliothèque Fantastique (LBF), which published a hundred artists’ books between 2009 and 2013. Taking inspiration from an essay written by Michel Foucault, the author adresses a panorama of the creative aspects of the work done by an artist publisher through defining multiple aspects of the process. To begin, he makes an analogy between the process of the artist publisher and the work of a librarian, by defining them both a “library phenomenon.” Next he provides an analysis of the intertextual and “interlivresque” phenomena, which occur between books. Lastly he examines the mechanisms of appropriation challenging the notion of authorship by making the artist publisher a meta-author. The second part of the thesis discusses the nature of the work published by the LBF. By developing the genealogy of the publications, the author initially investigate Stéphane Mallarmé, followed by a definition of artists books and the links they have with counter culture and subcultures. From there he describes a new category of publications that resides on the frontier between artist books and the Do It Yourself ethos, called the artzine. The third part defines the creative process of the artist publisher as an alternative artistic practice. In the first phase the author describes the process through the artist entrepreneur or “artistic company,” while at the same time being an “autriste” practice. Next he demonstrates that these alternative approaches are both heterotopias and concretists. To finish the author looks to the future relationships and directions of publishing and art.
Keywords : Artist books ; Zines ; Artist publisher ; Intertextuality ; Self-reflectiveness ; Meta-author ; Artist company ; Library
Texte de la soutenance/
Presentation speech:
Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement les membres du jury, d’avoir pris le temps de lire mon travail et de participer à cette soutenance. Je tiens également à remercier mon directeur de recherche de m’avoir soutenu depuis 2006, et de m’avoir habilement guidé dans mes recherches. Merci aux collègues, amis et membres de ma famille, qui sont venus me soutenir. Et surtout, merci à tous les auteurs de La Bibliothèque Fantastique sans qui se projet n’aurait rien été.
C’est avec beaucoup d’émotion et de plaisir que je vous présente aujourd’hui le résultat de six années de travail. Un travail d’artiste, d’éditeur et de chercheur, sans qu’aucun ne prenne le pas sur les autres. En effet, il s’agit là de l’objectif de l’artiste chercheur qui doit mener pratique et théorie de front en tentant de conserver un certain équilibre, afin de créer un mélange entre les deux qui soit le plus cohérent possible. Le livre étant l’instrument principal de ma recherche et mon sujet, il s’agit donc d’une « recherche en art et par l’art », mais également recherche sur le livre et par le livre. Mon projet d’édition a été inspiré par un texte de Michel Foucault intitulé « La Bibliothèque fantastique » que j’ai pris comme un mode d’emploi, d’une manière presque littérale. Comme l’a montré Foucault dans ce texte dont vous pouvez lire un extrait ici, la production de sens naît de la confrontation entre les livres. Il ne s’agissait pas tellement de révéler les sens cachés de ce texte, mais de l’expérimenter plastiquement, pour le vérifier par l’action, afin d’en montrer des aspects plastiques qui ne le serait pas par la lecture ou l’étude. En effet, dans mon travail, il s’agit aussi bien des livres lus et cités dans la thèse, que des livres produits en collaboration avec des artistes auteurs, puis édités et fabriqués à la main.
L’installation que vous pouvez voir autour de nous insiste sur cette nouvelle lecture du texte de Foucault, et elle est le résultat de recherches plastiques que théoriques. Il s’agit en réalité de deux installation superposées, la première intitulée La Tentation de Saint Antoine composée d’agrandissements de gravures, et la seconde intitulée Ligne éditoriale qui présente chacun des livres publiés par La Bibliothèque Fantastique accrochés sur une même ligne. La ligne dessinée par les livres symbolise la ligne éditoriale de mon projet et de l’éditeur qui lorsqu’il publie un livre après l’autre tente de conserver un cap, une direction. Présentés de manière chronologique, la succession des expériences et des collaborations dessine ainsi le projet La Bibliothèque Fantastique dans son évolution. Pour cette occasion si particulière, j’ai donc accompagné cette Ligne éditoriale d’agrandissement de gravures qui ne sont pas reproduites fidèlement, mais joue de la répétition, de la ressemblance et de l’appropriation, notions très importantes dans le travail mis en place avec LBF. En effet, ces gravures dont Flaubert s’était lui-même inspiré, étaient présentes dès la première publication en 1964 du texte de Michel Foucault en postface à l’édition allemande de La Tentation de saint Antoine. Elles ont été choisies par Foucault dans le livre Religions de l’antiquité de l’archéologue et philologue allemand Friedrich Creuzer.
Selon Foucault, Flaubert a trouvé les racines de La Tentation dans un lieu qui pour lui permet la naissance d’un imaginaire propre au XIXe siècle : la bibliothèque. En effet, dans La Tentation, Flaubert écrit selon Foucault, à partir de « tous les autres livres, rêvés, fragmentés, déplacés, combinés, éloignés, mis à distance par le songe, mais par lui aussi rapprochés jusqu’à la satisfaction imaginaire et scintillante du désir ». Dans le texte fondateur de mon projet, Foucault insiste sur la façon dont l’écriture flaubertienne utilise « la rumeur assidue de la répétition », les « redites », les « commentaires », les « mots déjà-dits » et les « reproductions de reproductions » comme autant d’outils pour construire son récit. Cette façon flaubertienne d’envisager l’écriture et la littérature, Foucault la nomme « phénomène de bibliothèque ». Car l’écrivain a utilisé pour alimenter ses descriptions les livres de sa bibliothèque, et en particulier les gravures du livre de Creuzer que vous pouvez voir autour de vous. Cependant, alors que j’avais accès à différentes versions de ces gravures, j’ai choisi de les reproduire non pas à partir des originaux, mais à partir de l’édition la plus récente du texte de Foucault dans les Dits et écrits. Le trait au départ très fin dans le livre de Creuzer s’est épaissi au fil des reproductions de reproductions, comme si la matrice qui avait servi à imprimer ces gravures était surencrée. Ces grands tirages se rapprochent alors plus de ce que Mallarmé dit du journal qui, selon lui, « reste le point de départ (…) la feuille à même, comme elle a reçu empreinte, montrant au premier degré, brut la coulée d’un texte » ou plutôt dans ce cas là, la coulée brute d’un image.
Le texte de Foucault a inspiré mon projet plastiquement, mais il m’a également aidé à théoriser ma démarche d’artiste éditeur. Mon travail de recherche m’a conduit à répondre aux nombreuses questions soulevées par ma pratique artistique, afin de donner une définition de l’artiste éditeur dans laquelle j’espère de nombreux artistes se reconnaîtront. J’ai d’abord cherché à explorer la notion de « phénomène de bibliothèque », car elle représente pour moi de nombreux aspects du travail de l’éditeur. J’ai voulu ainsi répondre à la question : quelles sont les implications d’une œuvre d’édition en tant qu’œuvre bibliothèque ? En effet, le travail d’édition se joue de la confrontation entre les livres, et l’éditeur comme le bibliothécaire organise une accumulation de titres qui rend possible la création de sens par les liens intertextuels, transtextuels et interlivresques, ainsi que par les phénomènes inévitables d’appropriation que ceux-ci impliquent. L’éditeur et le bibliothécaire achèvent tous deux la création d’un sens qui ne se base pas sur un objet en particulier, mais sur les liens invisibles de ressemblance et de répétition qui se créent entre les livres
Pour éditer plus d’une centaine de livres en quelques années, j’ai du trouver des solutions à la fois économiques et économes, et leur donner du sens tant sur le plan pratique que sur celui des idées. Mais on peut se demander si l’artiste éditeur est artiste parce que ce qu’il publie des œuvres d’art, ou si au contraire parce qu’il est artiste, ce qu’il publie devient art ? Afin de répondre à cette question, j’ai du par la suite redéfinir mon objet, et donner un nouveau nom à mes publications.
En diffusant ce que certains appelleraient des livrets, des brochures ou des pamphlets et que j’appelle des fanzines d’artistes, ou tout simplement des livres. J’ai adopté un mode de production Do It Yourself, et je suis devenu un média, comme le conseillait Jello Biafra le leader des Dead Kennedys lorsqu’il déclarait : « Don’t hate the media, become the media ». J’ai d’abord voulu considérer mes publications comme des livres, car leur forme spécifique insiste sur leur livrité, et qu’ils sont conçus pour avoir les caractéristiques et les qualités spécifiques qu’ont habituellement les livres. Mes rencontres m’ont conduit par la suite à considérer les livres de LBF comme des fanzines, car comme le souligne le collectionneur Philip Aarons, ils sont produits dans une atmosphère d'urgence, grâce à des techniques d’impression rapides, économiques et immédiates. Mes publications sont également des livres d’artistes, elles participent à l’histoire de ce médium, même si elles représentent un mode de production plus récent, le Do It Yourself, c’est pourquoi je les appelle des fanzines d’artistes.
Enfin, j’ai voulu donner une définition personnelle de l’artiste éditeur et je me suis demandé quelles étaient les spécificités de ce type de démarche, et en quoi elle pouvait être une forme d’art alternative ? Ainsi, il me paraît important d’insister sur la nécessité pour l'artiste d'inscrire son action dans un cadre, qu'il s'agisse d'un statut légal, économique ou scientifique. Car l’artiste doit devenir éditeur, chercheur ou encore curateur de ses propres expositions, faute de quoi il n’est qu’un outil, un fournisseur pour les galeries et les musées. Ainsi, la démarche de l’artiste éditeur s’inscrit naturellement dans la mouvance des entreprises artistes, car les artistes entrepreneurs prennent les rênes de leur activité et s’affranchissent des modes de fonctionnement dominants. Ils font ainsi preuve d’autodétermination et adoptent tous les niveaux dans la relation entre l’art et le réel ou la fiction. Car il existe des entreprises artistes concrétistes, qui agissent dans le monde réel, alors que d’autres sont entièrement fictionnelles. Mais pour la plupart, les choses ne sont pas aussi tranchées, et elles jouent de ce rapport entre fiction et réalité pour induire un angle dans leur regard critique. Loin d’abonder dans le sens du statu quo, chacune d’entre elles propose un regard sur le monde où la complaisance n’a pas lieu d’être.
Ma démarche d’artiste éditeur s’inscrit naturellement dans le cas de figure des entreprises artistes concrétistes puisque mon activité n’est pas fictionnalisée, mais s’inscrit dans le monde réel et dans l’économie du livre. Il s’agit de faire dialoguer les œuvres publiées et de créer du sens par leur confrontation, en inventant ses propres outils pour le faire. Ce type de démarche inscrite au cœur de la société et consciente de ses enjeux, nécessite un cadre qui est peut-être la partie la plus importante et prend le plus souvent la forme d’une maison d’édition. Le cadre que j’ai choisi et que j’ai nommé La Bibliothèque Fantastique, représente ainsi la partie visible d’une activité, d’une démarche tournée vers l’avenir qui interroge le futur de l’édition, et offre des solutions comme la diffusion en ligne et l’impression à la demande.
Mais alors que je soutiens ce travail, se pose la question du futur, et de l’avenir de cette démarche. Quelle évolution possible de la démarche d'artiste éditeur ? Car il en faut une. Pour ne pas courir le risque de se retrouver enfermé dans le carcan qu'on a soit même forgé. Il faut se construire soi-même en dehors de ce système, en dehors de la compétition, se construire pour et par soi, et comme l'évoque Foucault faire de sa vie une œuvre d'art.